
Formation et progression professionnelle : des logiques genrées selon les emplois occupés
03/2023
Formation et évolution professionnelle s’articulent de façon différente entre les femmes et les hommes salariés. Les logiques à l’œuvre peuvent être mises en évidence à partir de l’enquête Formation et qualification professionnelle (FQP), réalisée par l’Insee en 2014 et 2015, qui retrace les parcours professionnels et de formation sur les cinq années précédentes. Sur cette période, suivre une formation d’au moins 18 heures est plus souvent associé à une progression professionnelle pour les femmes, notamment cadres et professions intermédiaires. Pour les hommes, la formation a plus souvent lieu après un changement professionnel. Elle n’a pas d’effet causal sur la progression professionnelle des employés et ouvriers et témoigne plutôt d’un renforcement de leur relation avec l’entreprise dans un contexte de tensions de recrutement.
L’étude mesure l’influence de la formation sur la mobilité ascendante. Elle montre en particulier que la formation n’a pas d’effet causal sur la mobilité ascendante des hommes employés et ouvriers, mais qu’elle pourrait réduire leur risque de défection. La corrélation négative entre, d’une part, leur accès à la formation et, d’autre part, le taux d’emplois vacants et le degré de concurrence pour l’emploi local de leur secteur d’activité signifie qu’ils se forment d’autant moins que leur risque de mobilité vers d’autres entreprises est élevé ; autrement dit, que leurs compétences sont transférables (au moins en partie) et qu’existent suffisamment d’opportunités locales de mobilité dans leur domaine.
Plus souvent que les hommes, les femmes qui se forment déclarent viser un changement de situation professionnelle, et se forment effectivement davantage qu’eux en amont d’un changement de lieu de travail, d’activité et/ou d’entreprise. Si formation et progression professionnelle sont associées positivement pour les femmes, en particulier pour les cadres et professions intermédiaires, le lien est vraisemblablement plus ambigu pour les employées et ouvrières, qui pourraient se former dans le cadre d’un changement de poste contraint.
La différenciation des logiques formation-progression selon le genre, révélée par l’étude, fait écho à la forte ségrégation professionnelle entre femmes et hommes (Briard, 2019b). Au sein du salariat d’exécution, les femmes se concentrent dans des professions de services (agents d’entretien, aides-soignants, etc.) ; au sein des cadres et professions intermédiaires, elles exercent plus des fonctions support (secrétariat, gestion, etc.) que de production. Ces postes offrent des perspectives d’évolution parfois limitées par rapport à ceux principalement occupés par les hommes, au contenu plus précis et aux compétences souvent plus formalisées et mieux reconnues (Lemière et Silvera, op. cit.). Alors que les métiers à prédominance masculine, notamment dans les postes d’exécution, mobilisent plus souvent des compétences spécifiques, peu transférables entre domaines d’activité, les métiers à prédominance féminine font davantage appel à des compétences transversales, génériques, relatives à la maîtrise d’outils bureautiques, à l’organisation, aux relations interpersonnelles, etc., compétences parfois peu aisées à identifier, si bien qu’elles peuvent rester invisibles. L’inégale répartition des femmes et des hommes dans l’emploi interroge de fait le rôle que jouent, d’une part, la reconnaissance des compétences mobilisées dans les perspectives d’évolution, d’autre part, la nature de ces compétences, spécifiques ou transversales, dans les espaces d’évolution en termes d’opportunités de mobilités horizontales et externes.
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