BLANCHARD, Soline, BONI-LE GOFF, Isabelle, et al.. (Re)configurations du travail domestique (dossier).
Travail, genre et sociétés n°46, 2021, p.27-131
Les trois premiers articles de ce dossier s’inscrivent envisagent les reconfigurations contemporaines du travail domestique sous l'angle du partage objectif, en étudiant précisément le travail sous différentes formes, et sous l'angle subjectif, en interrogeant l'adhésion à un ethos égalitaire.
L’article de Marie Cartier, Anaïs Collet, Estelle Czerny, Pierre Gilbert, Marie-Hélène Lechien, Sylvie Monchatre et Camille Noûs mobilise des entretiens pour étudier l’inégale répartition du travail parental et ses reconfigurations dans les couples hétérosexuels des classes populaires et moyennes. Il montre un investissement différencié et une spécialisation des tâches, avec un travail de sécurisation des pères auprès des enfants. Si des facteurs favorisent l’engagement domestique masculin (notamment la présence au foyer sans la conjointe), les femmes restent largement à l’initiative des négociations domestiques, avec une charge mentale et psychoaffective pesant toujours sur elles, ce qui génère des tensions parfois vives au sein des couples.
À partir d’une ethnographie en ligne, de comptes Facebook de femmes et d’hommes de classes populaires, Dominique Pasquier examine les récits de l’insatisfaction liée aux rôles de genre. Dans ces espaces de prise de parole placés sous le contrôle des proches, elle révèle trois registres : la plainte individuelle face à la lourdeur de la charge de travail, la revendication d’une meilleure reconnaissance du travail domestique féminin et la dénonciation de la domination masculine. Dans ces échanges peu investis par les hommes, les femmes adoptent un « féminisme oblique » pour tenir une position entre conformité aux rôles assignés et aspirations à l’égalité.
S’appuyant sur deux enquêtes quantitatives, Martine Gross et Michael Stambolis-Ruhstorfer proposent une étude comparative de la répartition des tâches dans des couples hétéro et homoparentaux des classes intermédiaires et supérieures. Les seconds apparaissent moins inégalitaires que les premiers en termes de temps investi, d’interchangeabilité et de collaboration dans la réalisation des tâches, la délégation marchande s’avérant aussi plus fréquente. Il en résulte une plus grande satisfaction des partenaires. La persistance d’inégalités domestiques y compris chez les couples de même sexe indique toutefois que les logiques du genre transcendent le sexe des conjoint·e·s.
Ce dossier analyse de façon approfondie les styles de vie de différentes fractions de classe, permettant de caractériser les obstacles différenciés à un partage plus égalitaire des tâches ménagères et parentales. Les deux derniers articles déplacent ainsi la focale du côté des couples hétérosexuels des classes supérieures pour révéler des arrangements domestiques différenciés.
Celui de Lorraine Bozouls s’intéresse aux ménages de classe supérieure du "pôle privé', en particulier ceux dans lesquels l’asymétrie des rôles genrés est la plus forte. Les femmes "au foyer" y réalisent un important travail d’éducation, de consommation et de sociabilité. Ce "travail du style de vie" permet de convertir le capital économique, accumulé par les hommes dans la sphère professionnelle, en capital culturel, symbolique et social, et participe activement au positionnement de classe des ménages.
Les logiques sociales étudiées par Alizée Delpierre, au sein des ménages des fractions "ultra riches", présentent des similitudes, avec une partition stricte et asymétrique du travail domestique, mais aussi des enjeux particuliers de mise en scène du statut social du ménage, avec l’emploi d’une domesticité nombreuse et à plein temps. La délégation à demeure du travail domestique n’abolit pourtant pas les inégalités de genre au sein des couples employeurs : si les femmes réalisent un travail quotidien d’encadrement entraînant une importante charge mentale, elles restent sous la tutelle financière de leurs conjoints.
Ainsi, en articulant un questionnement en termes de genre et de classe à différentes échelles, ce dossier souligne les reconfigurations possibles et les résistances au changement, voire le renforcement d’organisations domestiques asymétriques, avec des différenciations marquées selon les classes sociales et entre couples hétérosexuels et homosexuels.
https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-2.htm
article d'introduction du dossier : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-2-page-27.htm