METZGER, Jean-Luc. Le travail ou l'impensé de la transition écologique.
Cahiers internationaux de sociologie de la gestion n° 27, 01/2025, p. 13-30
Le travail apparaît comme un angle mort, un impensé de la transition écologique. Face à la plupart des mesures dites de « transition écologique », qu’elles aient été effectivement mises en œuvre ou simplement évoquées par les décideurs politiques, les réactions des entrepreneurs – des multinationales aux agriculteurs et aux artisans –, des collectivités locales, des associations et des citoyens sont majoritairement hostiles. Pour justifier cette réticence à contribuer à l’effort collectif, les différentes catégories d’acteurs soutiennent : soit qu’ils font déjà suffisamment d’efforts pour préserver l’environnement, soit que cela va nuire à leur compétitivité, soit qu’ils ne peuvent en supporter le coût, soit, a contrario, que ces mesures sont notoirement insuffisantes face à « l’urgence climatique » et aux engagements pris lors des conférences internationales sur le climat, l’environnement, la biodiversité, etc. Dans de nombreux pays, ces refus, réticences et résistances actives se traduisent ou, à tout le moins, sont concomitants de l’emprise croissante de partis climatosceptiques, au détriment des partis favorables à des modes de développement moins prédateurs. Pour autant, il existe une multitude d’initiatives concrètes, prises aussi bien par des entrepreneurs – agriculteurs bio, start up au service du développement durable, finance authentiquement verte ou durable, etc. –, que par des collectifs de salariés, des associations, ou des collectivités locales, en faveur de l’environnement. Mais du fait de leur grande dispersion, ces initiatives peinent à infléchir l’irrésistible croissance des empreintes des activités humaines, à commencer par les émissions de gaz à effet de serre (EGES), la destruction de la biodiversité, le pillage des ressources minérales, végétales et animales, ou les innombrables formes de pollution, et d’atteintes à la santé. Enfin, la nature et le sens du travail, ses conditions d’exercice, son organisation, le type de statut d’emploi, le niveau de revenu, sa durée, tous ces éléments jouent un rôle notable sur les pratiques politiques, les choix électoraux et l’acceptation ou le rejet de l’écologie.
On peut dès lors en déduire que les sociétés dans leur ensemble ne sont pas, par essence, rétives au principe d’une transition écologique. Sur cette base, l'auteur part du principe que la réticence à mettre en œuvre les mesures envisagées pour conduire un développement plus durable s’expliquerait, au moins partiellement, par le fait que les citoyens, plus particulièrement en tant que travailleurs, quel que soit leur domaine d’activité, ne sont presque jamais impliqués dans la conception même de ces mesures. Il serait nécessaire d’inverser le raisonnement, de permettre aux travailleurs de contribuer, dès l’amont, aux décisions structurantes concernant les mesures opérationnelles de la transition écologique dans leur entreprise, leur administration, sans oublier leur région pour tenir compte des interrelations entre les différents acteurs au sein d’un même territoire.
On peut en effet penser que cette façon de concevoir la transition écologique – ou, plus précisément, d’inventer de nouvelles façons de produire et de consommer pour réduire progressivement les empreintes des activités humaines – permettrait de proposer des mesures concrètes, à la fois plus adaptées aux différentes configurations de travail, et plus efficaces du point de vue de la transition écologique.
Ainsi, la perspective de participer, d’être acteur des solutions d’avenir pourrait engendrer moins de réactions hostiles, une fois passées les phases de débats et de formation mutuelle. D’autant plus que la conception de ces mesures concrètes, de ces changements dans les finalités de la production et dans l’organisation du travail, serait guidée, non par des considérations d’abord politiques ou idéologiques, mais par la nécessité de résoudre des questions de faisabilité technique, opérationnelle, tout en prenant en compte les questions d’emploi, d’horaires, de salaires, de conditions de travail, de transports,
d’articulation vie privée-vie professionnelle, etc.
On pourrait en attendre finalement un changement des pratiques politiques, notamment en faveur des partis et mouvements environnementalistes, au détriment des partis climatosceptiques. [...] Les individus se sentiraient plus acteurs de la vie politique de leur pays, ils s’engageraient plus volontiers dans les différentes formes possibles d’action, de l’inscription sur les listes électorales à la prise de responsabilités syndicales, associatives ou dans des partis.
Pour développer ces considérations, les compléter, l'auteur en esquisse la pertinence, au moyen d’une lecture croisée de trois ouvrages récents. Puis, dans un deuxième temps, il approfondit les liens entre configurations professionnelles et pratiques politiques.
https://sociogest.hypotheses.org/5211