Le 07/06/2025

CHASSAING, Karine, DANIELLOU, François, DAVEZIES, Philippe, DURAFFOURG, Jacques, BONGIORNO, Yves, DUFOUR, Serge, GACHE, Fabien, LUSSON, Julien. Recherche-action prévenir les risques psychosociaux dans l'industrie automobile : élaboration d'une méthode d'action syndicale. Rapport final.  Emergences, 01/2011, 358 pages
Cette recherche-action a impliqué des équipes militantes de la CGT de 9 des 13 sites industriels du groupe Renault et de sa filiale commerciale Renault Retail Group, soit 38 militants au total, pour 17 chantiers, avec l’encadrement scientifique de Mme Karine CHASSAING, maître de conférence en ergonomie à l’ENSC, Institut polytechnique de Bordeaux et de MM. François DANIELLOU, professeur d’ergonomie à l’ENSC, Institut polytechnique de Bordeaux ; Jacques DURAFFOURG, ancien professeur d’ergonomie au département Analyse pluridisciplinaire des situations de travail (APST) de l’université de Provence-Aix Marseille 1 ; et Philippe DAVEZIES, enseignant-chercheur en médecine et santé au travail à l’Université Claude Bernard Lyon 1. 5 syndicats sont allés jusqu’au bout de l’expérience, soient 27 militants et 10 chantiers.
Le rapport entre le travail et la santé appelle l’attention sur l’existence de deux principales logiques d’action : « gestion » ou « prévention » des risques. Le travail mené à travers cette recherche-action s’est clairement inscrit dans une démarche préventive, conforme à l’article L. 4112 du Code du travail qui définit des « principes généraux de prévention ». La question posée était ici celle de l’intervention syndicale sur les situations de travail, au niveau des sources d’atteintes à la santé.
En effet, face aux transformations organisationnelles à l’œuvre depuis les années 1980 et à l’augmentation des suicides, les militants syndicaux font souvent état de difficultés pour mettre en œuvre des actions de prévention, notamment sur les risques psychosociaux. Ils sont au premier plan pour percevoir les conséquences sur la santé des salariés, tant sur le plan physique que psychologique, des transformations organisationnelles à l’œuvre, des nouvelles méthodes de travail mises en place. L’organisation du travail est marquée par la prescription, la multiplication des normes privant le travailleur de l’autonomie nécessaire pour l’exercice de son métier. Les contraintes de temps se renforcent. La peur engendrée par ces méthodes amène beaucoup de militants à expliquer les difficultés pour ne pas dire leur incapacité ressentie à engager un travail collectif avec les salariés eux-mêmes, tellement la crainte de parler, de cibler la responsabilité de l’organisation du travail peut être de nature à fragiliser encore un peu plus les salariés.
Les militants syndicaux se sentent ainsi, souvent, enfermés dans une forme d’impuissance. Ils se trouvent en situation de devoir respecter (et donc endurer) le silence des collègues sur leur souffrance, en même temps qu’ils supportent la leur propre (puisqu’ils ne sont pas non plus épargnés par les conséquences des évolutions du travail). De surcroît, lorsqu’ils agissent, ils doivent assumer parfois le regard de ceux qui peuvent penser que leur situation s’est encore dégradée suite à leur intervention. Constat d’autant plus dur lorsque, comme c’était le cas de la Cgt Renault, ils subissent une baisse d’audience électorale, donc un affaiblissement de leur capacité à mener à bien, dans les IRP, une véritable représentation de l’intérêt des salariés.
Or, un constat supplémentaire s’impose : face à ces nouveaux maux du travail, la seule dénonciation syndicale de l’intensification croissante du travail et de la mise en œuvre de nouvelles pratiques managériales ne suffit pas à modifier la réalité du vécu des salariés. Une question se pose alors pour les organisations syndicales en général, et s’est posée concrètement au sein de la Cgt du groupe Renault : comment sortir « du constat » pour élaborer une vraie stratégie offensive de nature à transformer la vie quotidienne des salariés, et améliorer leur conditions du travail pour construire leur santé plutôt que la dégrader ?
C’est à cette question que la recherche-action engagée avec les militants Cgt du groupe Renault a cherché à répondre – dans un contexte de crise où les effets sociaux des mesures engagées par le groupe automobile ont pourtant conduit à une sollicitation sans précédent des syndicalistes auprès des salariés. L’enjeu était qu’une réflexion commune permette de dégager des formes d’action syndicales appropriées à la prévention des risques psychosociaux. Le point de départ était le suivant : si les salariés tombent malades ou sont attaqués, c’est particulièrement parce qu’ils tentent de résister à la logique managériale qui porte atteinte aux valeurs de qualité de leur travail et qu’ils prétendent préserver ou promouvoir des intérêts et des valeurs que cette logique exclut.
S’il y a souffrance au travail, ce n’est pas seulement parce qu’il y a pression, c’est aussi parce qu’il y a résistance. L’hypothèse de travail était que le potentiel d’action réside dans cette résistance. A la condition de faire de l’activité de travail non plus une question personnelle, mais l’objet d’un débat social au sein des collectifs de travail et face aux prescriptions managériales. Il s’agissait donc de tenter de renforcer la capacité syndicale à percevoir et à exprimer non seulement les plaintes des salariés, mais aussi les dilemmes que ceux-ci rencontrent dans leur activité professionnelle concrète, les tentatives qu’ils déploient pour faire bien leur travail, les attaques que la standardisation exerce contre leurs essais de maintenir forme humaine aux relations avec autrui. De même, les salariés ont besoin de trouver une issue sociale aux contradictions qu’ils rencontrent dans le travail et aux conflits qu’ils ont intériorisés au risque de leur santé.
En complément à ce rapport, un DVD restitue les hypothèses de départ et les problématiques de la recherche-action et expose quelques-uns des résultats obtenus par plusieurs équipes syndicales qui s’y étaient engagées.
https://www2.emergences.fr/fr/?p=1479