CANDELISE, Lucia, CONORD, Sylvaine, MICHAU, Nadine, REMILLET, Gilles. La relation soignants/soignés à l'épreuve de l'image (dossier).
Images du travail, travail des images, 20/06/2017
À en juger par le nombre croissant des productions audiovisuelles et cinématographiques sur les thèmes de la santé, de la maladie ou de la médecine, force est de constater que les pratiques médicales occupent de nos jours une place importante sur la scène médiatique. Du côté de la fiction, la figure d'autorité du soignant, personnage héroïque au savoir biomédical spécialisé, recèle des ressources scénaristiques inépuisables comme en témoignent, par exemple, les épisodes de la série Dr House (D. Shore, 2004-2012). Mais les failles personnelles du soignant, ses doutes, qu’il soit médecin généraliste (La maladie de Sachs, M. Deville, 1990) ou psychanalyste (In Treatement, H. Levy, 2008-2010) travaillent également les représentations sociales, annonçant en creux une image inversée et critique de la toute puissance du savoir médical, de ses limites techniques et scientifiques et des crises identitaires plus profondes qui traversent le milieu médical actuel. Les mises en scènes d'intrigues autour de la question de la maladie et du soin (Le bruit des glaçons, Blier, 2010) ne manquent pas d’alimenter les préoccupations sociales des patients, désormais récurrentes, autour du droit à l’information médicale, des valeurs et de l’éthique médicale, du traitement des corps dans leurs dimensions biologique, sociale et politique.
Au-delà de cette dramaturgie de l’intime (Remillet 2013), présente dans le cinéma de fiction comme dans de nombreux documentaires – La consultation (De Crecy 2009), Hospital (F. Wiseman, 1970), Les patients (C. Simon, 1989) et Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés (M.A. Roudil, S. Bruneau, 2006) –, rares sont les films réalisés dans une perspective anthropologique et accordant une place centrale aux soins du corps (Michau 2007), à la parole du malade, à celle du médecin ou du thérapeute (Candelise 2013, Remillet 2014). Cependant, que nous apprend de plus que les analyses désormais classiques de l'anthropologie de la maladie et de l’anthropologie médicale un acte médical observé, filmé ou photographié, alors que certaines notions clés telles que illness et sickness (Young 1982, Kleinman 1988 et 1997) ont déjà largement contribué à asseoir ces deux disciplines sur le plan théorique ? Qu’en est-il lorsque les chercheurs en sciences sociales tentent d'approcher la « réalité » des soins à travers des prises de vues, qu'elles soient photographiques ou filmiques ?
Le présent numéro d’Images du travail, travail des images entend interroger la contribution spécifique des médias visuels dans l'élaboration des recherches sur la relation de soin en sciences humaines et sociales, sur les plans méthodologiques et épistémologiques. Il s’agit plus précisément d’aborder la difficulté de l’accès au terrain, le respect éthique de la relation soignants/soignés, ainsi que les différentes modalités de participation des parties prenantes de l’enquête, chercheurs comme enquêtés. Quelle posture adopte le chercheur lorsqu’il entreprend de restituer un rapport social dans lequel il joue un rôle, lorsqu’il s’engage dans une démarche participative et/ou de co-production des données de la recherche (Candelise et Remillet, 2016) ? Les prises de vues, en tant qu’elles projettent sur le spectateur une forme qui échappe en partie à l'interprétation du chercheur, impliquent une réflexion approfondie sur le mode d'énonciation, les manières de faire et de penser l'image. Les auteurs des articles de ce dossier exposent différentes démarches qui vont de l'analyse, par les chercheurs eux-mêmes, de la reconstitution de scènes médicales, à l’observation filmique et/ou photographique de soins exécutés par les praticiens. Ils s’engagent ainsi dans une écriture critique à l'égard de leur travail avec ou sur les images, revenant ainsi sur leurs choix scénographiques et l'élaboration de leur point de vue qui tend à faire autorité sur le spectateur et qu'il convient, par conséquent, de questionner. Extrait
https://journals.openedition.org/itti/922