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Vignette document Ré-enchanter le syndicalisme ? Les enquêtes syndicales CGT sur le travail réel

La Confédération CGT, avec l’aide de chercheur·es en sciences du travail, lance en 2007 un séminaire de réflexion intitulé « Travail et Émancipation » qui vise à renouveler la réflexion de la CGT sur le travail. Dans la même période, diverses équipes syndicales initient la recherche de nouvelles pratiques syndicales ancrées dans le vécu du travail réel, pour mobiliser des salarié·es confronté·es à une montée des risques psychosociaux et à la dégradation de leur santé mentale. A partir de 2010 elles reçoivent le soutien du collectif confédéral « Santé, travail, protection sociale ».

Se formalise alors progressivement une « démarche travail » qui part de la parole des salarié·es sur leur travail, mais se distingue nettement des pratiques habituelles de tournée syndicale basées le plus souvent sur la collecte de plaintes. Mobilisant les acquis des sciences du travail, elle se base sur l’explicitation par les salarié·es de ce qu’elles et ils font vraiment dans leur travail (le « travail réel »), qui va bien au-delà du travail prescrit. Elle suppose une attitude d’enquête et d’écoute, à l’opposé d’une posture d’avant-garde. La révélation et la mise en débat du travail réel vise à redynamiser les collectifs de travail et à co-construire avec eux des revendications concrètes et mobilisatrices.
Au-delà de ce socle commun, les équipes syndicales utilisent des outils très divers : colloques et journées d’étude, assemblées ou heures d’information syndicales, formations-actions avec ou sans le soutien de chercheur·es, enquêtes formalisées ou non, aux méthodologies variées… voire, dans un des cas étudiés, cogestion de facto de l’organisation du travail. Certaines équipes syndicales ne mettent en œuvre qu’une ou deux de ces pratiques, d’autres les déploient presque toutes.
Les effets de ces pratiques sont multiples. Si les militant·es signalent dans nombre de cas des améliorations concrètes des conditions de travail, le résultat le plus généralement évoqué est un renforcement du syndicat, qu’on l’évalue par le nombre d’adhérents, les suffrages aux élections professionnelles ou la qualité de la vie syndicale, notamment l’intégration de jeunes ou de profils a priori éloignés de la CGT. Les militant·es interrogé·es soulignent en général que la démarche syndicale à partir du travail leur permet de retrouver un sentiment d’efficacité, de redonner du sens, voire de “ré-enchanter le travail syndical”, selon l’expression d’un militant enquêté.

Ces résultats positifs ne sont cependant pas relatés partout, et leur pérennité n’est pas toujours assurée : les pratiques d’enquête ne sont parfois adoptées que par un ou quelques militant·es, sans irriguer le collectif syndical. Parmi les principaux facteurs favorables figurent l’autonomie conquise par rapport à l’agenda du « dialogue social » institutionnel (essentielle pour dégager le temps nécessaire à la démarche d’enquête), l’ancrage au quotidien des militant·es dans leur milieu de travail, leur adhésion collective à la démarche d’enquête, la qualité des formations - formelles ou non - à l’enquête sur le travail réel, la construction d’espaces de mise en débat collectif du travail, la détermination politique et le soutien des structures locale, fédérale ou confédérale. L’interruption du soutien confédéral à la démarche en 2018 n’a cependant pas entravé l’action de la plupart des syndicats ici interrogés.
Parmi les réticences qui freinent l’adoption de cette démarche dans la CGT, on trouve les craintes que la co-élaboration des revendications avec les salarié·es n’amène le syndicat à s’écarter des repères et valeurs de la CGT, que les salarié·es peu qualifié·es aient plus de difficultés à s’exprimer sur leur travail, ou bien que la démarche manque d’ambition transformatrice. Selon ses promoteurs, les réticences tiennent aussi à la transformation de la vie syndicale qu’induit la démarche travail vers une plus grande collégialité, qui peut bouleverser des fonctionnements traditionnels.