L'écologie au carrefour d'enjeux sociaux, économiques et politiques
L’écologie occupe une place de plus en plus importante dans le débat public et spécialisé. Cette sélection de quatre ouvrages publiés en 2021 et 2022 illustre les enjeux et les opportunités de l’inscription de cette thématique dans l’entreprise, la société et le champ politique, en combinant plusieurs registres : social, économique, idéologique et culturel.
L’avancée environnementale dans les espaces de négociation collective
Les enjeux environnementaux atteignent tous les aspects de la vie en société. Les relations sociales ne font pas exception, comme le démontre l’ouvrage intitulé Négociation collective et environnement dirigé par Alexis Bugada, enseignant chercheur du Centre de Droit social d’Aix-Marseille. Fruit d’un travail de recherche, l’analyse de 300 conventions et accords collectifs de travail s’est concentrée sur les clauses environnementales les plus significatives, et a permis de dégager quelques idées fortes. Dérèglement climatique, décarbonation, biodiversité, transition énergétique... sont autant de préoccupations présentes dans certains textes conventionnels. Les dispositifs de la protection des travailleurs, ou relatifs au télétravail, les indicateurs de performance, les comportements écoresponsables, les mobilités vertueuses, les politiques de rémunération et le partage de l'information environnementale font partie des éléments de réponses apportées de façon éparse par les partenaires sociaux. Si les organisations syndicales patronales et salariées déploient progressivement des programmes et des actions en la matière, les avancées environnementales à l’échelle des entreprises, des branches et au niveau interprofessionnel restent encore très timides comme le souligne l’auteur. La route vers une transition écologique juste est encore longue. Par sa force d’engagement collectif, la négociation collective peut relever ce défi, en élargissant son champ d’action à d’autres domaines tel que celui consacré à la qualité de vie au travail vers celui de la qualité de vie et des conditions de travail dans son environnement.
Le passage d'une économie industrielle à une économie « humano-centrée »
Face à l’urgence écologique, Pierre Veltz, ingénieur et sociologue, auteur de l’ouvrage L’économie désirable : sortir du monde thermo-fossile, appelle à des changements profonds pour accompagner la transition. Il est nécessaire selon lui, de réfléchir à une trajectoire économique d’ensemble répondant à la question du « quoi produire » et pas seulement du « comment produire », et qui satisfasse les conditions suivantes : être sobre en consommant moins de ressources et en polluant moins ; être désirable en ne creusant pas les inégalités sociales, et être positive en créant des emplois pour compenser les suppressions massives dans les secteurs du thermo-fossile.
L'auteur propose de recentrer les modèles de production vers des secteurs "humano-centrés" tels que la santé, l’éducation, l’alimentation, les loisirs, la mobilité où le numérique occupe une place centrale dans leur développement. Mais c’est d’abord une économie du lien interpersonnel qu’il s’agit de construire et de consolider, avec des emplois de qualité, et valorisés comme tels. La crise sanitaire a permis de prendre conscience de l'utilité sociale des métiers du soin et du lien aux autres, souvent précaires et sous-considérés. L'ouvrage met en avant le paradoxe qui veut que ces domaines d'activité centrés sur l'individu appellent une dimension collective beaucoup plus forte avec une multitude d'acteurs (réseaux locaux, infrastructures) que l'économie marchande traditionnelle. L’auteur plaide pour un retour de l’État dans la définition et la mise en œuvre des politiques de la transition. Ces dernières ne pourront selon lui, résulter de la seule addition des initiatives et des politiques locales, aussi créatives soient-elles.
L’émergence d’une nouvelle classe écologique, comme acteur et force politique
Le philosophe Bruno Latour et le sociologue Nikolaj Shultz, à qui l’on doit l’ouvrage Mémo sur la nouvelle classe écologique explorent la dimension politique de cette crise écologique. Les préoccupations écologiques notamment le climat, l’énergie, la biodiversité, sont devenues omniprésentes. Curieusement, la multitude des conflits n’a pas pris la forme d’une mobilisation générale. A quelles conditions l’écologie pourrait-elle organiser la politique autour d’elle ? Les auteurs défendent la thèse de l’émergence d’une nouvelle classe dirigeante, consciente de l’enjeu de l’habitabilité de la planète et qui formerait cette nouvelle classe écologique appelée à devenir la classe-pivot. L’ambition de celle-ci est « de restreindre la place des rapports de production au profit de la prospérité ». Le formatage par « l’économisation » tel qu’il est rappelé, n’est plus adapté, faute de pouvoir donner une place aux êtres humains et au vivant. Tenue par l’ancienne classe politique, cette position est celle qui a prévalu durant des décennies. Aujourd’hui, toujours selon les auteurs, la classe nouvellement légitime possède une vision plus large, plus complexe de l’histoire et de la géohistoire. En ce sens, la classe écologique parce qu’elle voit plus loin et prend en compte un plus grand nombre de valeurs peut être considérée comme plus « rationnelle » que les autres classes. L’enjeu n’est pas la fin du travail en soi, mais l’extension des soins apportés aux conditions « d’habitabilité » : c’est-à-dire travailler dans un monde habitable en faisant en sorte que les processus productifs y contribuent.
La construction d’une culture écologique partagée
La crise écologique révèle les conséquences de l’effort productif global, restées longtemps inaperçues et qui menacent aujourd’hui la vie de chacun et les organisations sociales dont les collectifs, les sociétés, les entreprises et les institutions sociales font partie. L’ouvrage du philosophe Pierre Charbonnier Culture écologique porte à la connaissance du plus grand nombre, un certain nombre de débats qui organisent aujourd’hui la question écologique. Ceux-ci ne mobilisent pas seulement l’anthropologie, la sociologie, l’histoire, la géographie et l’économie, mais aussi d’autres domaines comme celui de la philosophie. Le clivage entre luttes sociales centrées sur le travail et les mouvements environnementaux qui demeurait encore très prégnant, tend à perdre de son sens. Selon l’auteur, « la préservation d’un milieu habitable se confond désormais avec une réflexion sur les inégalités sociales et globales, sur la responsabilité macro-économique de l’Etat, la persistance des dominations de genre et des héritages des systèmes coloniaux, etc. ». Le compromis entre la question du travail et celle du climat n’a pas encore donné lieu à une proposition politique et idéologique parfaitement structurée, capable de répondre aux attentes de l’électorat. Diverses orientations se donnent à voir : capitalisme vert, Green New Deal, décroissance, écoféminisme et post colonialisme. Des transformations sociales sont en cours dans les relations avec le monde du vivant, avec les systèmes de production alimentaires, la culture dominante, l’organisation du travail et de la ville, et les choix industriels. Tout cela concourt à une nouvelle culture politique, même s’il reste des progrès à faire pour que la question sociale se traduise dans la question écologique et devienne une valeur partagée.