La refondation de la démocratie au travail

Lu pour vous
Renouvelée dans ses formes et ses modalités, la démocratie s'enrichit des nouvelles aspirations des citoyens et des travailleurs vis-à-vis des gouvernances. Dénominateur commun des quatre ouvrages présentés ici, la démocratie y est abordée sous l'angle politique, économique et social. Les auteurs proposent ainsi, chacun à leur manière, des perspectives d’évolution relevant de la démocratie participative.

La démocratie participative dans la vie publique en proie à un malaise

L’idée qu’une refondation démocratique est indispensable pour renouer le lien politique avec les citoyens «plus autonomes» a connu une certaine résonnance lors des élections présidentielles de 2017. Celles-ci ont mis en lumière le double enjeu de la réforme représentative. Le premier, comme le souligne Luc Rouban, directeur scientifique au CNRS, dans son ouvrage «La démocratie participative est-elle en crise ?», est de répondre au besoin ressenti par un nombre croissant de citoyens d’une démocratie approfondie notamment, en prônant l’intervention directe dans l’élaboration des lois et leur mise en œuvre. Le second est d’élire des représentants qui leur ressemblent et qui sont proches d’eux. Luc Rouban affirme que « la défiance dans le personnel politique se nourrit surtout de la distance sociale entre les élus et les électeurs […]», soulignant que «c’est bien le sentiment d’une dépossession qui conduit à dénigrer la démocratie représentative». La culture démocratique est essentielle. Elle se caractérise par la contribution active dans la durée, des membres de la société civile au développement du bien commun, des modalités du vivre ensemble et à la construction des décisions collectives. Nombre d’entre eux constituent la «force de travail» autrement dit la population active, dont le taux d’emploi est évalué à 63,8 % en 2015 d’après l’Insee.

Le monde du travail gagné par un besoin de liberté

Les conditions de réalisation du travail influencent l’exercice de la démocratie. Dans son ouvrage «Libérer le travail», Thomas Coutrot, statisticien et économiste du travail, met en évidence les conséquences extrêmement négatives du processus d’abstraction et de standardisation du travail sur la démocratie. «Obéir aux ordres toute sa vie ne prédispose pas à l’exercice du libre arbitre dans la cité». Le manque d’autonomie a des effets délétères sur la santé et le pouvoir d’agir. L’auteur interroge de nouvelles pratiques du travail pour redonner du pouvoir aux salariés telle que l’entreprise libérée pour laquelle l’auteur se montre sceptique. A contratrio, il soutient les coopératives et les réseaux alternatifs dans l’écologie. Pour rendre à la démocratie son pouvoir d’influence, Thomas Coutrot appelle à une nouvelle forme de gouvernance de l’entreprise, à la libération du travail et, à faire de la qualité du travail une exigence vitale pour préserver les équilibres écologiques et de la démocratie.

Vers un nouveau modèle de démocratisation du travail

Dans son ouvrage de philosophie sociale intitulé «Le travail démocratique»,  Alexis Cukier, chercheur et philosophe, analyse le sens démocratique de la critique du travail. Il questionne les modèles théoriques pour concevoir le travail démocratique, ainsi que ses enjeux politiques au-delà de l’entreprise.

L’analyse des apports, des limites et des contradictions d’expérimentations coopératives, autogestionnaires et conseillistes permet d’envisager des propositions en vue d’instituer ce mode de production démocratique. La mise en œuvre du travail  démocratique nécessiterait des innovations institutionnelles permettant de répondre aux problèmes rencontrés : comment abolir le clivage entre activités économiques et politiques, entre le travailleur et le citoyen ? Comment démocratiser conjointement le procès, l’organisation et la division du travail ? Comment décloisonner les rapports entre l’intérieur et l’extérieur de l’entreprise et inventer des formes de coopération démocratique transversale dans l’ensemble de la société ? De nouvelles institutions tels que les conseils sociaux seraient attachées à de nouveaux droits démocratiques pour les travailleurs et organisées autour de dispositions légales.

L’avènement du marché de la démocratie participative

La démocratie est aujourd’hui placée au centre des débats sur le travail, le développement des entreprises comme au cœur des stratégies des acteurs privés et publics. Alice Mazaud et Magali Nonjon, maîtres de conférence et chercheuses, auteures de l’ouvrage «Le marché de la démocratie participative», montrent comment la démocratie participative s’incarne à travers les dispositifs participatifs, les services administratifs et les secteurs marchands. «Les militants d’hier sont pour l’essentiel concurrencés par des professionnels (agents publics, consultants, salariés de grandes entreprises d’aménagement) qui vivent de l’offre de participation […]». Ces derniers jouent un rôle majeur et leur professionnalisation, au travers de la formation, contribue à instaurer une norme participative dans les organisations.