MCE : travailler avec un cancer

Dossier
Les maladies chroniques évolutives (MCE) concernent aujourd’hui 20 % de la population. Quatre personnes sur cinq sont en activité au moment de leur diagnostic. L’enjeu de développer des actions visant à améliorer leur maintien et leur retour dans l’emploi est capital. Les acteurs publics, le monde de la recherche, les associations et les entreprises se mobilisent pour produire réflexions, méthodes et guides. Ce dossier est consacré aux travailleurs atteints d'un cancer.
Une salariée atteinte du cancer travaille avec une collègue

L’action publique pour prévenir et lutter contre la désinsertion professionnelle due au cancer

Avec l’étude VICAN5 (Vie après un Cancer), parue en juin 2018, l’Institut National du Cancer met en lumière les conditions de vie des personnes vivant avec un cancer, cinq ans après le diagnostic. La seconde partie du rapport est consacrée aux trajectoires professionnelles et à l’évolution des ressources. Elle est éloquente sur la question de la situation professionnelle et des recours aux arrêts-maladie ou au temps partiel thérapeutique :

- " Une situation professionnelle globalement dégradée cinq ans après un diagnostic de cancer " : une personne sur cinq âgée entre 18 et 54 ans et en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus cinq ans après.
- " Cette dégradation est socialement différenciée ". Cette perte d’emploi touche essentiellement les populations moins diplômées, les moins de 40 ans et les plus de 50 ans, mais aussi les personnes exerçant un travail précaire.
- " Les travailleurs indépendants sont plus fréquemment en emploi cinq ans après le diagnostic que les salariés ".

 

Face à cette problématique, acteurs publics et monde associatif se mobilisent.

Le Plan Santé au travail 2016-2020 mis en place par le ministère du Travail inclut ainsi des actions relatives au maintien dans l’emploi de personnes atteintes de MCE :

- " Améliorer la lisibilité et l’accessibilité aux droits pour les travailleurs en risque de désinsertion professionnelle ". Après avoir fait le point sur l’offre existante, développer un outil en ligne destiné aux travailleurs et aux entreprises pour la valoriser.
- " Mettre en place une offre régionale coordonnée d’accompagnement des travailleurs et des entreprises ". Viser la mise en place d’un " parcours coordonné unique de référence ".

 

Parallèlement, le plan Cancer 2014-2019, porté par le ministère des Affaires sociales et de la Santé et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, prévoit de :

- " Parfaire l’offre de solutions adaptées à chaque situation personnelle des personnes atteintes de cancer "
- " Responsabiliser l’entreprise dans toutes ses composantes sur l’objectif de maintien dans l’emploi ou la réinsertion professionnelle "
- " Progresser dans la coordination territoriale des différents acteurs qui interviennent pour le maintien dans l’emploi ou son accès "

Citons également le Plan Maladie neuro-dégénératives 2014-2019 mis en place par le Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et par le Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes.

L’institut National du Cancer finance par ailleurs le projet FASTRACTS, avec pour objectif de " développer, implanter et évaluer une intervention pour faciliter le retour au travail, le maintien dans l’emploi et la qualité de vie au travail après un cancer du sein ".

Le ministère du Travail détaille à l’aide d’un outil en ligne - Parcours de maintien en emploi - les accompagnements prévus pour les personnes " dont l’état de santé risque d’avoir un impact dans l’exercice de (leur) activité professionnelle ", en fonction de leur statut professionnel : salarié, travailleur indépendant, travailleur du secteur agricole, agent de la fonction publique ou personne en situation de handicap.

 

Le réseau Anact-Aract a publié en 2017, en partenariat avec l’Institut National du Cancer, le guide " 10 questions sur les maladies chroniques évolutives et les cancers au travail ". Celui-ci aborde les problématiques liées aux MCE et aux cancers en partant des situations de travail, afin de mettre en place des projets de retour ou de maintien dans l’emploi des travailleurs concernés.

L’Inspection Générale des Affaires Sociales décrit dans son rapport de 2017 intitulé " La prévention de la désinsertion professionnelle des salariés malades ou handicapés " différents dispositifs mis en œuvre par l’Assurance maladie pour faciliter le retour à l’emploi ou le maintien dans l’emploi, comme le temps partiel thérapeutique, les centres de rééducation professionnelle (CRP), le contrat de rééducation professionnelle en entreprise (CRPE) ou encore l’indemnité temporaire d’inaptitude (ITI).

 

Un exemple d’initiative locale dans la région Nord-Pas-de-Calais

Afin de pallier le déficit d’information des malades, l’étude " Maintien au travail et maladie : un exemple d’accompagnement individualisé en région Nord " présente une initiative de " plateforme d’information, d’orientation et d’accompagnement " en collaboration avec le CHRU de Lille et l’Institut de Santé au Travail du Nord de la France (ISTNF). Ce dispositif permet des échanges avec des médecins experts en Santé-Travail au sujet du maintien dans l’emploi ou pour des questions de droit social, et a pour ambition de lutter contre la désinsertion professionnelle des personnes vivant avec un cancer ou une maladie de longue durée, en les mettant en relation avec les acteurs du territoire qui peuvent les accompagner au mieux.

Au côté des acteurs publics, les associations se mobilisent

L’Association pour la Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Handicapés (AGEFIPH) a pour mission de favoriser l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi de personnes handicapées. Parmi ses différentes actions, elle met à disposition des entreprises (et plus généralement du public) une base Expérience permettant de mettre en lumière des partenariats réussis entre des salariés et leurs employeurs afin de maintenir le lien qui les unit dans le cadre du travail. Le Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (FIPHFP) propose également des informations pour encourager le maintien dans l’emploi.

D’autres associations font appel aux démarches volontaires des entreprises, comme Cap Santé Entreprise, ou encore Cancer@Work, " club d’entreprises dédié au cancer, à la maladie et au travail " . Cette dernière est à l’origine d’un baromètre analysant " les attentes de la population active ainsi que l’impact de la maladie sur la vie professionnelle ".
 

En entreprise, les acteurs élaborent des outils pour le maintien dans l’emploi
 

Le rôle des représentants du personnel et les partenaires sociaux

L’IGAS souligne l’investissement des partenaires sociaux, au niveau national, dans la prise en compte des enjeux de réinsertion professionnelle. Dans son rapport, elle note toutefois qu’au niveau des branches ou des entreprises, où les salariés s’adressent spontanément à leurs délégués syndicaux pour des conseils dans ces situations, les représentants du personnel ne se sentent pas toujours bien armés pour répondre à ce type de sollicitations.
Les représentants du personnel jouent un rôle d’écoute et d’aide à l’identification à la fois des problèmes rencontrés par les salariés concernés par une maladie, mais aussi de leurs souhaits (aménagement de poste, du temps de travail…). L’article L2312-8 du Code du travail, définissant le rôle du comité social et économique (mis en place progressivement, à partir du 01/01/2018) contient par ailleurs la mention suivante : " Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur (…) les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail (…) des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l’aménagement des postes de travail ".

Les partenaires sociaux sont, quant à eux, des interlocuteurs importants pour la refonte de l’organisation du travail et l’amélioration des conditions de travail, pour tous les salariés mais aussi, en particulier, pour les travailleurs vivant avec une MCE, à travers le levier de la négociation collective. Leur rôle et les perspectives de leur action dans ce périmètre sont précisés par les articles L2242-17, L2242-18 et L2242-19 du Code du travail.
L’Anact a également réalisé une étude, commandée par la Confédération française démocratique du travail (CFDT) : " Travailler avec une maladie chronique évolutive : quel(s) rôle(s) des partenaires sociaux ? ". Celle-ci interroge les voies permettant le maintien dans l’emploi des personnes concernées, et notamment les changements que peuvent induire le dialogue social et les équipes syndicales dans cette perspective.

La médecine du travail : adapter le  poste de travail aux nouvelles aptitudes physique et psychologique

L’une des communications du 34e congrès de médecine et de santé au travail en 2016 portait sur le sujet du " Maintien dans l’emploi : travailleurs vieillissants, pénibilité, maladie chronique, handicap, prévention de la désinsertion ". Elle démontre que la santé et la performance globale de l’entreprise sont liées, et que l’approche se concentrant sur les manques et déficits du travailleur ne permet pas d’avancer. L’idée n’est plus de travailler " comme avant ", mais bien " comme après ". Le 35e Congrès de médecine et santé au travail s’est tenu du 5 au 8 juin 2018 à Marseille. Le thème 2 portait sur " Maladies chroniques et travail ".

L’ergonome au service des situations de travail

Le travail de l’ergonome consiste en une intervention sur le lieu de travail pour améliorer le confort et la sécurité des utilisateurs à leur poste.
Dans " Dynamiques d’interventions des ergonomes dans le champ du maintien dans l’emploi de salariés malades chroniques ", Celia Quériaux, psychologue au Laboratoire de l’intégration du matériau au système de l’université de Bordeaux, définit la pratique de l’ergonome en général, puis comment celle-ci s’insère dans une démarche d’entreprise. Qu’est-ce que l’intervention maintien dans l’emploi ? Comment fait-on appel à l’ergonome pour le maintien dans l’emploi ? Et comment les entreprises font-elles face à des situations où la question du maintien dans l’emploi est posée ? En définissant ce que la maladie produit comme effet chez le travailleur (en termes de temps, d’implication…), l’étude se penche sur le " carrefour de dimensions temporelles " dans lequel intervient l’ergonome.

Un nouveau rapport au travail exploré par les sciences sociales

Plusieurs études démontrent le lien entre cancer et altération des trajectoires professionnelles et valorisent l’impact des actions de l’entreprise sur le maintien dans l’emploi des salariés malades.

Dans " Que font les 10 millions de malades ? Vivre et travailler avec un maladie chronique ", le psychologue du travail Dominique Lhuilier et la sociologue Anne-Marie Waser montrent que, très souvent, les personnes atteintes de maladies chroniques évolutives souhaitent rapidement retourner au travail. Ils analysent leur perception de leur propre statut en lien avec leur situation, et comment les entreprises gèrent l’activité des personnes vivant avec des problèmes de santé.
Dans le chapitre " Les milieux de travail " de l’ouvrage, la démarche des chercheurs a porté sur le cas de trois entreprises, afin de comprendre quelles actions ont été menées, du côté du salarié comme du côté de l’entreprise, pour atteindre les objectifs et prendre en compte la maladie du travailleur.

L’article " Travailler autrement. Comment le cancer initie un nouveau rapport au travail " (de l’ergonome Karine Chassaing et de la sociologue Anne-Marie Waser) explore de son côté les changements de rapport au travail, mais aussi le nouvel équilibre entre la vie de la personne, sa santé et son activité professionnelle. L’article comprend quatre témoignages sur les stratégies mises en place pour recréer un environnement de travail favorable après la maladie.

Les anthropologues Clément Tarantini et Lucille Gallardo, ainsi que le sociologue Patrick Peretti-Watel abordent dans leur article " Travailler après un cancer du sein. Enjeux, contraintes et perspectives " une certaine ambiguïté de la réinsertion professionnelle. Le travail se positionne en réalité à mi-chemin entre la maladie et la thérapie.

 

Pour aller plus loin

Interview de Céline Lis-Raoux, directrice de la rédaction Rose Magazine (magazine destiné aux femmes concernées par un cancer) et directrice de l’association Rose, le 04/02/2018 sur France Info.

 

 

" Difficile de reprendre le travail après un cancer ", le 02/02/2018 sur France 3.