Travail de nuit : comment prévenir les effets sur la santé ?

Dossier
MAJ 19/04/2023. Malgré son caractère exceptionnel affirmé par la loi, le travail de nuit continue de se développer, posant de véritables questions de santé publique et de santé au travail. Des mesures de prévention sont préconisées pour en limiter les effets délétères, en agissant plus particulièrement sur l’organisation du travail. Ce dossier de veille vous propose un tour d’horizon du sujet.
Travailleur de nuit affecté à l'entretien des routes

Un mode d’organisation du temps de travail répandu

En France, selon les dernières données disponibles, le travail de nuit concerne 4,3 millions de personnes et continue à se développer. Ce nombre a augmenté de 1 million entre 1990 et 2013, atteignant 16,3 % de la population active, souligne le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de Santé publique France publié en mars 2019. Le travail de nuit habituel a plus que doublé durant cette période, passant de 800 000 (3,6 %) à 1,9 million (7,2 %) de salariés, alors que le nombre de travailleurs de nuit occasionnels a légèrement baissé, passant de 2,5 millions (11,4 %) à 2,4 millions (9,1 %). Le secteur tertiaire compte de loin le plus grand nombre de travailleurs concernés. C’est aussi dans ce secteur que l’augmentation est la plus importante, passant de 500 000 en 1990 à près de 1,5 million en 2013.

L’article paru dans la revue BM - Public Health en juillet 2022 analyse l’évolution du travail de nuit sur une période de 34 ans de 1982 à 2015. Un des points marquants porte sur la différence du travail de nuit entre les hommes et les femmes. En effet, l’évolution du travail de nuit sur la période étudiée est peu importante chez les hommes, 22 % travaillent de nuit. Elle est plus nette chez les femmes qui passent de 7 % à 10 % sur la même période. La proportion du travail de nuit habituel augmente de plus de 150 % entre 1982 et 2015. Cela s’explique en partie par le changement de réglementation due à la mise en conformité du droit national à la directive européenne et donc à l’instauration de la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Le secteur public plus concerné que le secteur privé

De façon générale, les contraintes horaires sont plus fortes dans le secteur public, notamment pour les agents qui assurent la permanence des soins ou la sécurité des personnes comme les infirmiers et les policiers, précise la synthèse statistique de la Dares établie à partir des résultats de l’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels). En 2017, 26,7 % des agents de la fonction publique hospitalière et 22,3 % des agents de la fonction publique d'État travaillent de nuit, même occasionnellement, contre 13,3 % des salariés du privé, majoritairement des ouvriers. Parmi la population des ouvriers du privé travaillant de nuit, 24% sont chauffeurs, 20% sont ouvriers qualifiés de type industriel et 19% sont ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport, selon l'Insee.

L’encadrement juridique du travail de nuit

Son caractère exceptionnel

Le recours au travail de nuit doit rester exceptionnel. Selon l’article L3122-32 du code du travail, il doit prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale.
C’est pourquoi, il doit être mis en place sous certaines conditions que mentionne le ministère du Travail dans les fiches pratiques du droit du travail. Sauf cas particuliers, la période de travail de nuit commence au plus tôt à 21 heures et s’achève au plus tard à 7 heures. Pour être considéré comme travailleur de nuit, le salarié doit travailler avec une certaine régularité pendant ces périodes. Il bénéficie alors de différents droits et garanties : limitation de la durée du travail, repos obligatoire, compensations, accès prioritaire au travail de jour, suivi médical adapté, prise en compte des obligations familiales.

À partir d’un certain seuil (1 heure de travail entre 24 heures et 5 heures, 120 nuits par an), le travail de nuit fait partie des facteurs de risques professionnels qui sont pris en compte dans le cadre du dispositif Compte professionnel de prévention (C2P) prévu par l’ordonnance n°2017-1389 du 22 septembre 2017.

La mise en place d'un accord collectif

Pour la mise en œuvre des dispositions relatives au travail de nuit, il convient de distinguer les domaines relevant de l’ordre public, c’est-à-dire ceux pour lesquels le législateur fixe des règles auxquelles il n’est pas possible de déroger, et ceux pour lesquels les règles pourront être fixées par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche (avec, sauf cas particuliers, la primauté de la convention ou l’accord d’entreprise sur la convention ou l’accord de branche). En cas d’absence de convention ou d’accord collectif fixant ces règles, des dispositions dites « supplétives » sont prévues et s’appliquent.

Le bilan de la négociation collective édition 2022 fait état de l’augmentation de la proportion des accords du travail de nuit en 2021 avec un taux de 5,1 % contre 4,1 % en 2020.

Les effets du travail de nuit sur la santé des salariés

Le rapport d’expertise collective de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), publié en 2016, met en en évidence les risques sanitaires liés au travail de nuit. Il dresse un tableau clinique préoccupant :

  • Les risques de troubles du sommeil et de troubles métaboliques sont avérés.
  • Les effets sur le cancer, la santé psychique, les performances cognitives, l’obésité et la prise de poids, le diabète de type 2 et les maladies coronariennes (ischémie coronaire et infarctus du myocarde) sont probables.
  • Les effets sur les dyslipidémies (concentrations trop élevées de certains lipides dans le sang), l’hypertension artérielle et les accidents vasculaires cérébraux ischémiques, sont possibles.

Les travaux montrent que la fréquence et la gravité des accidents survenant lors du travail posté incluant la nuit sont généralement augmentées. Cette situation s’explique à la fois par les mécanismes physiologiques impliqués (somnolence, dette de sommeil, chronobiologie), mais aussi par des facteurs organisationnels, environnementaux (conditions de travail), et managériaux.

Un risque accru pour les femmes

Une étude conduite par une équipe de l'Inserm, dont les résultats sont publiés dans la revue médicale European Journal of Epidemiology, 04/ 2018, Night shift work and breast cancer: a pooled analysis of populationbased case–control studies with complete work history, apporte de nouvelles informations sur l'association entre le travail de nuit et le risque de cancer du sein.

Le travail de nuit  - défini comme un travail d’au moins trois heures entre minuit et 5 h du matin - augmente de 26 % le risque de cancer du sein chez les femmes non ménopausées. Les perturbations du rythme circadien pourraient être en cause selon les chercheurs. Le risque semble plus important quand les femmes travaillent plus de 2 nuits par semaine pendant plus de 10 ans. Après l’arrêt du travail de nuit, le risque diminue.
En février 2023, et pour la première fois en France, une infirmière de nuit s’est vue reconnaître son cancer du sein comme maladie professionnelle (Santé & Travail, 04/2023). Cette décision est le résultat d’une action syndicale d’envergure menée  par la CFDT, tirant parti d’une enquête lancée en octobre 2018 afin de contribuer à la prise de conscience collective mais aussi à la mobilisation autour de la question des cancers professionnels.

Prévenir les effets du travail de nuit sur la santé

L'évaluation des risques professionnels

Dans toute démarche de prévention des risques, il est nécessaire de procéder à une évaluation des risques spécifique aux postes concernés par le travail de nuit (décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001, articles L. 4121-2 et L. 4121-3 du code du travail). Comme pour les autres risques, le Document unique sert de base pour identifier des mesures de prévention adaptées. Réunies dans un plan de prévention, elles doivent respecter les neuf principes généraux de prévention.

 

Des mesures adaptées

Dans une brochure intitulée « Travail de nuit et travail posté : quels effets ? Quelle prévention », l’INRS formule plusieurs recommandations :

  • Réduire le recours le travail de nuit dans la mesure du possible,
  • Agir sur l’organisation du travail :
    • Affecter en priorité les salariés volontaires à des postes de nuit.
    • Associer les salariés concernés à la définition des horaires de travail et des cycles de travail .
    • Adopter une vitesse de rotation rapide (tous les 2-3jours) associée à une microsieste ou proposer un 2 X 8 associé à une équipe permanente.
    • Instaurer des plannings réguliers et flexibles.
    • Définir les heures de début et de fin de poste compatibles avec les horaires des transports en commun.
    • Organiser des temps de pause pour permettre une microsieste nocturne.
    • Planifier en début de nuit/poste les tâches nécessitant une forte attention.
  • Adapter les horaires de travail :
    • Éviter les postes longs supérieurs à 8 heures.
    • Repousser le plus possible l’heure de prise de poste du matin (après 6 heures).
    • Aménager le système horaire afin qu’il interfère le moins possible avec la vie familiale et sociale des salariés.
  • Adapter les locaux de travail :
    • Revoir l’environnement lumineux : prévoir une exposition à une lumière d’intensité assez importante avant et/ou en début de poste puis la limiter en fin de poste.
  • Informer et former les salariés :
    • Les informer sur les effets sur la santé du travail/posté.
    • Les sensibiliser à une bonne hygiène de vie.
  • Associer les salariés aux discussions concernant les modalités pratiques des horaires afin de d’articuler au mieux vie au travail et vie hors travail.
  • Rendre possible le retour en horaires classiques.

Des témoignages d’entreprises (Les horaires atypiques, Travail et Sécurité, 01/2019) illustrent la façon dont certaines s’organisent pour limiter le recours au travail de nuit. Un établissement industriel alsacien a en partie renoncé au travail nocturne afin d’améliorer les conditions de travail de ses salariés. Un théâtre a avancé l’heure de ses représentations pour éviter les démontages tardifs de ses installations. Le service d’urgence d’un hôpital a mis au point un protocole qui officialise la sieste pour tout le personnel de nuit.

Le passage en horaires atypiques  est assorti de compensations (mesures financières, congés supplémentaires) jugées acceptables par les salariés concernés. Dans certaines situations où ils ont le choix, ils peuvent juger ces horaires préférables à ceux dits normaux. Par ailleurs, avec l’expérience, des stratégies de travail spécifiques à ces horaires décalés peuvent se construire. Dans la conférence introductive de l’édition des actes du séminaire 2017, le Creapt  met en évidence leurs effets négatifs sur l’organisme humain et sur la vie sociale, avec des conséquences de plus en plus marquées quand les heures et les années s’accumulent. Le retour à des horaires « normaux » est parfois souhaité à mi-carrière, quand la fatigue ou les troubles de santé s’amplifient, ou que se déploie une aspiration à une vie familiale et sociale moins perturbée.

 

La prescription du travail de nuit varie en fonction des évolutions économiques, sociales et sociétales. Mais son recours reste exceptionnel et « doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale », précise le ministère du Travail. Dernièrement, le travail de nuit  a resurgi dans le débat, avec la réforme des retraites adoptée sous la forme d'une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (LFRSS), publiée au Journal officiel le 15 avril 2023. Le texte comprend des mesures destinées à améliorer la prise en compte de l’usure professionnelle associée à certains métiers ou postes de travail. Elle aménage notamment le C2P (compte professionnel de prévention) en déplafonnant le nombre de points pouvant être acquis, en améliorant la prise en compte des multi-expositions, en abaissant certains seuils d’exposition. Des décrets permettront d'apporter des précisions sur les modalités d'application de la loi, principalement en ce qui concerne le travail de nuit (100 nuits/an au lieu de 120 pour acquérir des droits) et le travail de nuit en équipes successives alternantes (30 nuits/an au lieu de 50).

 

Voir aussi

HAS - Haute Autorité de Santé

Décision n°76 du 24 mai 2012 du collège de la Haute Autorité portant adoption de l'attribution du label méthodologique de la Haute Autorité de santé à la recommandation de bonne pratique : surveillance médico-professionnelle des travailleurs postés et/ou de nuit

 

CIRC – Centre International de Recherche sur le Cancer

Carcinogenicity of night shift work, IARC Monographs, Volume 20, ISssue8, pp. 1058-1059, August, 2019

 

Vidéos

Au coeur du travail de nuit en milieu médical, France 3, 22/01/2019, 5’13

Le travail de nuit dans le secteur de la santé est indispensable pour faire face aux urgences, ou accompagner les personnes dépendantes. Le travail de nuit, un monde à part, avec ses codes, ses difficultés, ses bonheurs aussi. Le Grand Format de cette semaine est signé Romane Viallon, Teddy Carruel et David Fleury

 

 

Les travailleurs de nuit, France 3, 27 /03/2017, 12’36

Certains hommes et femmes le font par conviction, d'autres parce qu'ils n'ont pas le choix... Isolement, vie sociale et familiale hachées, travailler de nuit n'est pas sans conséquence sur la vie personnelle... Reportage signé Denis Gannay-Meyer , Luc Perot et Philippe

 

 

Travail de nuit et travail posté, INRS, 04/03/2019 , 2'48

Marie-Anne Gautier, experte d'assistance médicale à l'INRS, présente les principaux risques liés au travail de nuit et au travail posté ainsi que les mesures de prévention à mettre en œuvre pour préserver la santé et la sécurité des salariés concernés.