Travail et addictions : les ressources pour comprendre et agir

Dossier
Les pratiques addictives au travail représentent un véritable défi en matière de santé et sécurité pour les entreprises. Loin d’être une question individuelle, la prévention des addictions interroge l’organisation du travail. Conscients de la complexité du sujet, les pouvoirs publics ont décidé d’inscrire la prévention des conduites addictives dans le 3ème Plan santé au travail 2016-2020.
un salarié à son bureau, près de lui un verre d'alcool, un cendrier et une cigarette allumée

Les professionnels de la santé constatent une forte augmentation de la consommation de substances en milieu professionnel. Ils distinguent deux types d'addiction : les dépendances à des produits et les dépendances comportementales. Les causes peuvent être multiples. Elles sont parfois en prise directe avec le travail lorsqu’elles sont un moyen de supporter voire de « mieux » réaliser son travail. Un cadre juridique a été mis en place mais les situations sont souvent complexes à objectiver et à gérer au sein de l’entreprise. Les questions du maintien dans l’emploi et de la prévention sont alors des sujets préoccupants.

 

Deux catégories d’addictions en milieux de travail

La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) définit le phénomène ainsi :« D’un point de vue scientifique et médical, les addictions sont des pathologies cérébrales définies par une dépendance à une substance ou une activité, avec des conséquences délétères. »

 

Les consommations, occasionnelles ou répétées, concernent notamment l'alcool, les médicaments et les drogues. Tous les secteurs d'activité sont touchés, à tous les niveaux hiérarchiques de l'entreprise. L’alcool, le tabac, le cannabis, la cocaïne, différents types d’opiacées, les amphétamines, les produits hallucinogènes, les solvants, certains médicaments dont les psychotropes sont des produits officiellement répertoriés comme des substances psychoactives.

 

Les addictions comportementales font, elles, référence à des attitudes répétées sur un mode obsessionnel. Le workhaolisme en fait partie. L’individu pense en permanence à son travail, de manière compulsive, y compris en dehors des heures de présence, le week-end et durant les vacances. Ce profil de salarié est souvent bien perçu. Un « workaolique » renvoie l’image de quelqu’un de très investi et performant. Or, le souci de la performance peut pousser à un stress intense, à l’isolement, à la prise de substances psychoactives, voire à l’épuisement professionnel.

La techno-dépendance est une autre addiction comportementale propres aux nouvelles technologies : internet, messageries, téléphones mobiles, réseaux sociaux etc. Ces outils sont largement répandus dans les entreprises. Leur usage abusif peut devenir compulsif. 37% des actifs utilisent les outils numériques professionnels hors temps de travail selon une étude Eléas. Conscient de ces risques dans l'entreprise, les pouvoirs publics ont inscrit un droit à la déconnexion dans la Loi travail en 2016.

La problématique des addictions en entreprise n’est prise en compte que depuis peu. Les addictions sont encore souvent tabou, relevant de la sphère privée.

 

 

Un risque bien présent dans l'entreprise

Un salarié sous l’emprise d’une substance psychoactive sur son lieu de travail représente un danger potentiel à la fois pour lui-même et pour son environnement. Il peut être sujet à des baisses de vigilance, des modifications de perceptions et de comportements, entraînant, par exemple, une conduite dangereuse, des troubles de l'humeur, des arrêts répétés.

Selon le  cabinet GAE , les addictions en milieu professionnel sont aujourd’hui à l’origine de 20 % des accidents du travail. Une autre enquête de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) auprès de dirigeants, de responsables RH et de représentants du personnel et de syndicats, fait le point sur la place des consommations de substances psychoactives et leur impact sur le travail. « Plus de la moitié des entreprises interrogées ont eu à gérer les impacts de la consommation de produits psychoactifs des salariés de leur entreprise/organisme mais c’est l’alcool qui semble poser le plus de problèmes aux dirigeants et responsables RH. »

Dominique Lhuillier, co-auteur de l'ouvrage "Se doper au travail", cherche à comprendre les raisons de ces consommations en milieu de travail: "On réduit la problématique des usages à la question des produits, du point de vue de l'individu écartant les raisons concrètes de ses pratiques pour les salariés." (...) Elle fait l'hypothèse que le lien entre travail et addiction peut relever d'une pratique utilitaire.

 

Quelques études, encore peu nombreuses, confirment cette hypothèse.

 

Des secteurs d'activité plus exposés

Christophe Palle, chercheur à l’OFDT,  a réalisé  une revue de littérature des différentes études sur le sujet. Il étudie la répartition des niveaux de consommation par type de population et par secteurs. La construction, le secteur des arts et spectacles et le secteur de l’hébergement et de la restauration sont particulièrement impactés. L’auteur souligne qu’en dehors de ces secteurs, «  les plus consommateurs semblent être ceux dans lesquels l’activité physique prend une part importante, caractéristique sans doute souvent associée à un plus haut niveau de pénibilité physique du travail. (…) Le transport routier, celui des marins pêcheurs ou le secteur de la sécurité ont fait l’objet d’attentions particulières en raison des risques élevés associés à leur exercice. »

La chercheuse Marie Ngo Nguene a enquêté auprès de salariés du BTP et de l’hôtellerie-restauration. Elle montre que dans ce secteur, le travail n’est pas entièrement en cause dans la consommation de psychotropes même si la pénibilité et le souci de la performance peuvent être des facteurs aggravants. « En réalité, les conduites addictives apparaissent au cœur des pratiques d’intégration et de régulation des groupes professionnels. » 

Si certains secteurs semblent plus exposés, identifie-t-on des profils particuliers de salariés ?

 

Des populations à risque

Les individus travaillant plus de 48 heures par semaine semblent plus fragiles. Selon une étude du British Medical Journal de 2015 , ils ont une plus grande probabilité de s'engager dans une consommation à risque pour leur santé, notamment la consommation d'alcool. On parle alors de "conduite dopante". Le salarié a recours à des substances pour soutenir son rythme de travail.

Ce peut être dans un objectif de performance mais également pour affronter une situation stressante ou pour stimuler la créativité. Il peut s'agir de "tenir" des horaires difficiles ou décalés, le travail de nuit, supporter des gestes répétitifs ou bien encore assurer les relation avec le public.

Les femmes sont devenues une population à risque. A l’occasion de la 1ère Journée nationale de prévention des conduites addictives en milieu professionnel, Danièle Jourdain-Menninge, alors présidente de la Mildeca, explique : « Les personnes addictes consomment également des médicaments psychotropes qui permettent de lutter contre le stress ou de renforcer l'activité cérébrale.(…) Ce sont les femmes cadres et les femmes des professions intermédiaires qui ont tendance à consommer davantage. » Eric Favereau confirme ce constat et met l'accent sur l'alccolisme féminin dans son article paru dans Libération en 2018.

 

L'addiction comme outil de régulation du travail ?

 

Comme l'explique D.Lhuillier, co-auteur de l'ouvrage "Se doper pour travailler" : "Lorsque l'addiction est devenu un outil de régulation, il convient d'interroger l'organisation du travail."

85 % des dirigeants et DRH se déclarent préoccupés par le sujet tout en ne sachant pas vraiment comment l’aborder.

" L’objectif (de nouvelles politiques de prévention) est de lever les tabous sur ces questions et d’inciter les employeurs à agir en lien avec les acteurs concernés (CHSCT, médecine du travail) et notamment les partenaires sociaux », explique Patricia Coursault, directrice du travail, chargée de mission prévention à la Mildeca.

La prévention des addictions au travail s’inscrit ainsi dans un axe prioritaire du plan Santé Travail 2016 -2020 (PST3)  : « Le plan a pour objectif de dépasser une approche segmentée des risques, qui s’adresse souvent en priorité à des spécialistes, pour adopter une approche plus transversale, en croisant les politiques publiques. C’est ce qu’illustrent par exemple les actions sur la prévention des addictions au travail ou celles sur les maladies cardio-vasculaires, qui abordent à des risques multifactoriels à l’interface de la santé au travail et de la santé publique. »

 

Il apparaît nécessaire de renouveler les représentations sur ces problématiques et de revoir les pratiques de prévention. Une nouvelle approche propose d'aborder la problématique de l'addiction au même titre qu'une maladie chronique. L'OMS classe d’ailleurs les comportements liés à la consommation de substances psycho-actives parmi les maladies. 

 

 

Les organismes de référence

 

Addict Aide, le monde du travail : le portail pour prévenir et gérer les conduites addictives dans le monde du travail

ADDITRA : Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie

ANPAA : Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie

Intervenir-addictions.fr : le portail des acteurs de la santé

Mildeca : Mission interministérielle contre les drogues et les conduites addictives

OFDT : Observatoire français des drogues et des toxicomanies

 

Anxiolytiques, antidépresseurs, antidouleurs… Drogué.e.s au travail. France Inter, Le téléphone sonne, 16/11/2017, 36 mn.

 

 

 

Se doper pour travailler. Interview, Renaud Crespin, Xerfi Canal, 03/2018

 

 

Un entretien infirmier. Intervenir.addictions.fr. Produit par Ronron Production. 10,30 mn

Mme Daumier, nouvellement responsable clientèle dans une PME, vient rencontrer l’infirmière de santé au travail pour un entretien infirmier.

Voir d'autres vidéos sur infos@intervenir-addictions.fr

 

 

 

Vidéo : Troisième journée nationale de prévention des conduites addictives en milieux professionnels organisée par la MILDECA, en partenariat avec le ministère du Travail et le ministère de l'Action et des Comptes publics :"Alcool et travail : parlons-en !", le 17 mai 2018